Brolylegs : se tailler un succès en tant que Pro de Street Fighter avec un handicap

Jusqu’où iriez-vous pour devenir le meilleur joueur de Street Fighter du pays ? Que sacrifieriez-vous pour participer au plus haut niveau de la compétition et devenir champion du monde ? Quelle que soit votre réponse, elle sera certainement très différente de l’expérience que Michael « Brolylegs » Begum, 31 ans, a vécue durant plus de dix ans au cours desquels il a participé à des rencontres de jeu de combat.

« Une fois, j’ai fait 40 heures de bus pour aller à l’EVO » nous dit Brolylegs. « Je suis resté coincé 12 heures à Amarillo, Texas, une gare perdue au milieu de nulle part parce que le bus n’était pas équipé d’un ascenseur. »

Alors que nous vivons une époque d’accessibilité, c’est le genre d’épreuves que doit surmonter Brolylegs pour se rendre à un tournoi. Il ne le fait d’ailleurs pas souvent seul. Son frère cadet et accompagnateur, Jonathan Begum ainsi que ses amis ont toujours été avec lui. Nous sommes au XXIe siècle et pourtant, parfois Brolylegs ne peut pas embarquer à bord d’un avion avec son « fauteuil » motorisé, qui ressemble plus à une table sur roues qu’à un fauteuil classique. En dépit de ces difficultés, Brolylegs ne se laisse pas décourager, que ce soit pour lui-même, sa famille et ses amis, et aussi pour ses fans.

Brolylegs the Broken

Si vous n’avez jamais entendu parler de Brolylegs, il est souvent désigné comme le « joueur handicapé » ou « le type qui joue à Street Fighter avec sa tête. » Brolylegs est né avec une arthrogrypose congénitale multiple, plus connue sous le nom d’arthrogrypose. Elle bloque la croissance musculaire chez l’enfant, occasionnant une déformation des membres, ce qui limite l’utilisation des mains et des pieds. Le cas de Brolylegs est assez sévère pour l’obliger à tenir sa manette contre son visage et d’appuyer sa langue contre l’intérieur de sa joue pour jouer aux jeux vidéo. Par miracle, il a mis à profit cette méthode incroyable pour faire carrière dans la compétition à Street Fighter IV et Street Fighter V: Arcade Edition.

Brolylegs est bien plus que « le type qui joue avec sa tête. » Il a affronté à Street Fighter certains des meilleurs joueurs des États-Unis et du monde. Il est membre à part entière de la Team Inferno, une équipe de la Street Fighter League Pro-US 2019, composée possiblement du meilleur joueur au monde de SFV: AE, Victor « Punk » Woodley et de l’étoile montante Jonathan « JB » Bautista, transfert des SoCal.

À un moment donné, Brolylegs dominait le classement en ligne à SFIV, avec Chun-Li, et il est actuellement Grand Maître à SFV: AE. Son parcours lui a ouvert les portes d’un métier atypique : apprendre aux gens comment devenir de meilleurs joueurs à Street Fighter. Beaucoup de joueurs ne reçoivent pas l’aide dont ils ont besoin sur la scène locale. Brolylegs a trouvé un moyen de combler ce manque, tout en apprenant des personnes auxquelles il donne des leçons.

« Je veux aider les joueurs qui n’ont personne vers qui se tourner ou bien qui ont honte ou peur de demander de l’aide, » nous confie Brolylegs.

« Voir les joueurs progresser alimente ma motivation, » poursuit-il. « Le but n’est pas d’en faire des champions, ou qu’ils soient les prochains Justin Wong ou Punk. Je veux les voir développer un potentiel dont ils ne se croyaient pas capables. »

Team Inferno Brolylegs
Brolylegs de la Team Inferno de la SFL (à gauche)

Qui est l’élève en fait ?

Au cours de sa carrière d’enseignant, Brolylegs a été témoin des différentes façons dont les joueurs appréhendent l’entraînement et le mettent en pratique, et comment les tournois peuvent les affecter. L’éventail de moyens pour améliorer son jeu lui permet de s’occuper individuellement de ses élèves et de leur fournir la technique et l’enseignement requis pour réussir. Toutefois, réussir n’est pas forcément synonyme de victoire en tournoi. Cela peut juste être le fait d’éviter un 0-2. La peur de finir au bas du classement effraie plus d’un joueur.

« La nervosité est la raison principale de l’échec des joueurs, même à haut niveau, » nous dit Brolylegs. « Et on ne peut rien y faire. Il faut trouver sa zone de confort. Quand je veux calmer ma nervosité… Je me dis que cette rencontre n’est pas trop dure pour moi. Si la personne à mes côtés mérite d’être là, alors moi aussi. »

Bien sûr, si vous avez côtoyé Brolylegs, vous pourriez dire qu’il a une autre tactique pour se calmer les nerfs : le dénigrement. Un pétage de plombs en règle de Brolylegs peut vous déstabiliser car il arrive sans prévenir. Voyez la façon dont il a exercé de manière répétée son humour auto-dépréciatif en plus d’asséner des crochets monumentaux à ses adversaires lors de la Street Fighter League.

Brolylegs

Convertir ses paroles en actions

Touche ma jambe, je veux marcher ! Je vais me débarrasser de ce fauteuil roulant vite fait. Je suis passé du fauteuil roulant aux béquilles, la prochaine fois j’aurais besoin d’un chien guide. Je passe au niveau supérieur dans la vraie vie !

Que répondre à ça ? Tout est une question de mental pour Brolylegs. Il galvanise les foules comme personne, même s’il ne gagne pas. Brolylegs nous a raconté une histoire, lors d’un tournoi il y de cela quelques années. Il avait dû être posé sur une table lors des pools, ce qui n’est pas rare pour Brolylegs, car l’espace est un luxe dans bien des tournois. Alors qu’il regardait un ami qui disputait un match, Brolylegs a été tellement provoquant que l’adversaire de son ami a pris la mouche et qu’il s’est retourné pour lui dire son fait. Il était même à deux doigts de renverser la table sur laquelle se trouvait Brolylegs. Ce dernier s’est-il tu pour autant ? Pas du tout. Cela l’a même certainement poussé à continuer.

« Si vous ne connaissez pas encore Brolylegs, cela ne va pas tarder, » affirme Jonathan, le frère de Brolylegs. « Il veut interpeller le public aussi bien que son adversaire. »

Jonathan, qui a confirmé l’histoire de la table, décrit Brolylegs comme quelqu’un de « humble » mais « agressif ». Le jeu de Brolylegs reflète sa personnalité. Jonathan est persuadé que si son frère n’était pas handicapé, il serait quand même connu car il est doté d’une présence indéniable. 

Pourtant, la vie n’est pas toujours juste ou facile. En dépit de toutes les choses formidables qu’il a accomplies, comme intégrer la meilleure équipe lors de la première saison de la Street Fighter League, écrire un livre ou être classé dans le Top 8 des principaux tournois, Brolylegs doit affronter les problèmes uniques liés à son handicap. Jonathan a été à ses côtés presque tout le temps. Il a partagé les bons et les mauvais moments, les victoires et les défaites. Il s’est retrouvé coincé avec lui dans des terminaux d’autobus et des aéroports.

« Ses difficultés sont mes difficultés. Je le nourris. Je l’habille. Je le porte. Nous faisons tout ensemble, » souligne Jonathan. « Je le fais parce que je l’aime et qu’il est l’humain le plus formidable que je connaisse. Parfois il a l’impression d’être un fardeau mais c’est à l’opposé de ce que je cherche à lui communiquer. »

La lutte est réelle

Brolylegs admet que le classement en tournoi et la régularité sont des problèmes, surtout car il a du mal à se déplacer jusqu’aux événements. Prendre l’avion ou le bus, quelle que soit la destination, peut se transformer en parcours du combattant pour lui. C’est pourquoi, ces dernières années, son frère et lui ont essayé de s’en tenir à la conduite sur route. Malheureusement, ils ont joué de malchance avec différents véhicules, ce qui s’est révélé très coûteux. Suite à une panne de son van, Brolylegs a récemment manqué le Texas Showdown, une première depuis neuf ans.

Ces problèmes et le manque de régularité peuvent plomber la confiance d’un joueur. Quelques joueurs de la SFL n’ont pas eu de résultats extraordinaires en individuel, Brolylegs inclus. Mais cela n’a rien d’une coïncidence si certains joueurs ont fortement amélioré leurs résultats après avoir participé à la SFL. Il y a qu’à regarder les résultats du Texas Showdown pour en être persuadé. Cinq des finalistes du Top 8 étaient dans la SFL, y compris les quatre joueurs du tableau des vainqueurs. Imaginez le potentiel si Brolylegs en avait fait partie.

En dépit des « et si » et des « normalement », Brolylegs ne se laisse pas démonter par ces revers. Il s’entraîne consciencieusement en ligne et apprend à ses élèves comment s’améliorer à Street Fighter.

« Si je pouvais me réveiller un matin et me dire que je vais à un tournoi sans avoir peur, ni être inquiet, je me dépasserai, » nous dit Brolylegs. « Comme je ne suis pas présent tout le temps, on en revient toujours à : “Oh, c’est le joueur handicapé.” “C’est le type qui joue avec sa tête.” Je ne veux plus entendre ça. Ça ne me met pas en colère. Je m’attache à montrer que je progresse et que je gagne. Être un meilleur joueur… être LE meilleur joueur. »

SFL Team Inferno
Team Inferno de la SFL : Brolylegs (à gauche), JB (au centre), Punk (à droite)

Team Inferno

La Street Fighter League a constitué une étape importante pour Brolylegs. Il était l’un des six joueurs retenus et il a été sélectionné par Punk pour intégrer la Team Inferno, équipe qui a terminé avec la meilleure performance générale de la Saison 1. Il est vrai que sa performance individuelle n’a pas été extraordinaire, mais en 3c3, l’équipe a montré que le tout est supérieur à la somme des parties. D’abord, les membres de l’équipe ont appris à mieux se connaître. Puis ils se sont entraînés et se sont améliorés petit à petit dans la SFL.

La meilleure chose que Brolylegs a retiré de la SFL a été le soutien entre les membres de son équipe. Il n’avait jamais rencontré la plupart des participants de la SFL, ce qui lui a permis, ainsi qu’à ses coéquipiers, de créer des liens. La Team Inferno a appris des compétences de chacun de ses membres, qui ont élaboré une stratégie pour décrocher la première place et pouvoir tenter de remporter le gros lot de la SFL au CEO 2019.

Quelles que soient les probabilités, Brolylegs est toujours au cœur de la compétition. Il prouve non seulement qu’il y est à sa place mais aussi qu’il peut tirer son épingle du jeu. Abandonner serait facile, mais s’il jetait l’éponge et renonçait à son rêve, quel exemple de gestion de l’adversité donnerait-il à ses élèves, présents comme futurs, et aux autres joueurs, handicapés ou non ?

« Je veux être connu comme le type qui n’abandonne jamais. Je vois des joueurs qui parlent de vols manqués ou de retards et qui espèrent quand même arriver pour les pools de 10h00 du matin. Je les envie, » nous confie Brolylegs.

« Je préfèrerais avoir ce type de problèmes que ceux que je vis. Quand on veut, on peut. Je continuerai jusqu’à ce que je tombe. Je veux être le joueur que tout le monde peut prendre pour exemple en se disant : “il n’abandonne pas alors je ne vais pas abandonner.” »